ÉDITION ÉLECTRONIQUE

ÉDITION ÉLECTRONIQUE
ÉDITION ÉLECTRONIQUE

Pendant près de cinq siècles notre culture de l’écrit a été façonnée par les techniques et les usages de l’imprimé. Cette période s’achève aujourd’hui avec l’avènement de l’édition électronique. En passant du papier au numérique, le texte ne change pas seulement de support, il change de nature. Notre rapport au savoir en est profondément modifié.

Le document numérisé

L’édition électronique repose sur la numérisation des textes et des documents, c’est-à-dire sur leur codage en une suite de 0 et de 1 manipulables par un ordinateur. Il y a deux grandes façons de procéder. La première consiste à coder le document en mode image : la page est analysée en points (pixels) plus ou moins nombreux auxquels correspondent des valeurs numériques indiquant leur position et leur couleur. On obtient ainsi une reproduction électronique du document qui en restitue fidèlement la mise en page. La deuxième technique, qui ne peut s’appliquer qu’aux textes, consiste à coder les caractères selon une norme qui attribue à chacun une valeur numérique déterminée. La plus ancienne et la plus universelle de ces normes est le code A.S.C.I.I. (American Standard for Communication International Interchange). Malheureusement, elle ne permet de coder que les caractères de l’alphabet des langues anglo-saxonnes. Des normes plus récentes, tel Unicode, autorisent le codage de presque toutes les écritures du monde.

Le mode texte rend possible l’automatisation de travaux fastidieux comme la recherche de tous les contextes d’un mot ou d’une chaîne de caractères. Il présente cependant l’inconvénient de faire disparaître la structure formelle du texte. C’est pour pallier cette perte que se développent aujourd’hui des langages de balisages répondant à la norme S.G.M.L. (Standard Generalized Markup Language), qui sont capables de renseigner la machine sur la structure logique d’un document (titres, paragraphes, etc.).

La bibliothèque virtuelle

Dans l’état actuel de la technique, la lecture sur écran reste très inconfortable par rapport à la lecture d’un livre. C’est pourquoi l’édition numérique s’est d’abord orientée vers des finalités de conservation, de transmission et de consultation de grands corpus. En France, l’Inalf (Institut national de la langue française) a ainsi numérisé plus de 3 500 ouvrages du XIVe siècle à nos jours. Un logiciel d’interrogation permet toutes sortes d’investigations sur cette énorme base de données disponible sur Internet et, partiellement, sur CD-ROM. De son côté, la Bibliothèque nationale de France a entrepris de numériser en mode image 100 000 ouvrages qui seront consultables sur des postes de lecture assistée par ordinateur (L.A.O.). À l’échelle européenne, le projet Bibliotheca universalis se propose de rivaliser, pour les langues européennes, avec le projet Gutenberg consacré à la numérisation en mode texte du patrimoine littéraire de langue anglaise. À une échelle plus modeste se constitue dès à présent une bibliothèque virtuelle d’ouvrages francophones grâce au concours de bénévoles, parfois regroupés en associations comme l’A.B.U. (Association des bibliophiles universels).

Le livre électronique

Entre les grandes bases de données numériques et l’édition traditionnelle, la place du livre électronique est encore mal définie. Cette incertitude tient d’abord au support. Les premières éditions apparues sur le marché (Larousse, Ilias, etc.) proposaient sur disquettes des ouvrages classiques, accompagnés d’outils de recherche et parfois d’une documentation iconographique. D’une capacité de stockage équivalente à plus de 400 disquettes, le CD-ROM opère un changement d’échelle considérable. Désormais, ce n’est plus seulement un livre mais toute une bibliothèque qui peut tenir sur un seul disque. Le changement de support invite à reconsidérer les contenus. Les encyclopédies électroniques ont été les premières à exploiter les possibilités du CD-ROM. Puis sont apparues des éditions de grands corpus (les œuvres d’Alexandre Dumas, La Comédie humaine , Les Rougon-Macquart , etc.). Le multimédia permet d’ajouter aux textes et aux illustrations des enregistrements sonores et vidéo ainsi que des animations. On peut imaginer, par exemple, une édition de Shakespeare qui donnerait à voir et à entendre les grandes mises en scènes de son œuvre, ou une anthologie de la poésie contemporaine dans laquelle les auteurs liraient leurs propres textes et les commenteraient dans des entretiens filmés.

Mais, au-delà du simple transfert de données multimédias sur un support numérique, le livre électronique ouvre des voies prometteuses à l’édition et à la création qui le distinguent du livre traditionnel. Un genre nouveau, foisonnant et multiforme est en train de naître. Des artistes et des créateurs venus d’horizons divers (arts plastiques, vidéo, musique, littérature, bande dessinée, etc.) associent et croisent leurs savoir-faire pour imaginer de nouvelles formes d’expression dans des domaines aussi divers que la fiction, la vulgarisation scientifique, la culture ou l’éducation. Chaque année, des institutions internationales, comme le M.I.L.I.A. ou le prix Möbius, suscitent les vocations et distinguent les talents en décernant leurs récompenses aux meilleures créations multimédias.

Du texte à l’hypertexte

Nos habitudes de lecture sont si intimement liées à notre culture de l’imprimé que nous oublions qu’elles sont d’abord le produit d’une technologie. L’invention de Gutenberg, en effet, a engendré la mise en place progressive de repères de lecture (pagination, découpage en chapitres, tables des matières, index, etc.) qui ont contribué à façonner notre rapport au livre et, par conséquent, au savoir. Dans sa structure intellectuelle et matérielle, le livre électronique gardera sans doute encore longtemps les traces de ces habitudes séculaires, à l’instar des premiers livres qui perpétuaient, jusque dans leur mise en page, les usages des manuscrits. Cependant, le passage du papier à l’écran oblige à aborder le texte avec de nouveaux outils, mieux adaptés à l’édition numérique.

La première conséquence de la numérisation des textes est leur affranchissement des contraintes matérielles du livre. La page, en tant qu’unité de lecture prise dans une séquentialité, n’existe plus. Le livre lui-même n’est plus cette entité physique prise dans le carcan d’une couverture et d’un titre. L’organisation hiérarchique du discours est bousculée. Les paragraphes acquièrent davantage d’autonomie, deviennent susceptibles de s’articuler entre eux de diverses manières. Les notes de bas de page ou de fin de chapitre ne sont plus de simples servantes du texte. Elles peuvent prendre les dimensions et le statut de texte principal, et contenir elles-mêmes d’autres notes. Ainsi, le texte n’est plus une structure arborescente hiérarchiquement organisée. Il se déconstruit, devient réseau, tissu, rhizome.

Cette déconstruction parallèle du livre et du texte est rendue possible par l’utilisation de l’ordinateur comme outil de lecture et d’écriture. Car la machine n’est pas un simple support comme le papier. Elle produit ses propres outils. Lire un texte numérique, c’est activer un programme informatique de lecture. Sous la surface plane du texte à l’écran que l’on ne peut feuilleter, d’autres textes ou d’autres images sont prêts à apparaître à l’appel du lecteur cliquant avec sa souris sur les mots activables. On appelle hypertexte cette technique de lecture et cette disposition du texte en réseau suscitant des parcours qu’emprunte le lecteur au gré de ses curiosités et de ses humeurs.

L’édition en réseau

La numérisation des documents modifie également leur mode de diffusion. Le CD-ROM est un objet que l’on peut acheter et garder chez soi sur un rayon de bibliothèque, comme un livre. Il convient à des éditions multimédias ou à des bases de données textuelles assurées d’une certaine pérennité. Mais le développement des réseaux numériques annonce de nouvelles perspectives d’édition. Libéré de son support matériel, le document numérisé peut circuler à très grande vitesse d’un ordinateur à l’autre sur Internet. Un texte ou une image stockés sur une machine à Toronto peuvent être affichés au même instant sur l’écran d’un lecteur à Paris ou à Sydney.

Parmi les techniques et les protocoles de diffusion en réseau, il faut distinguer ceux qui permettent la transmission de documents sous forme de simples fichiers de ceux qui exploitent le principe des hypertextes répartis. Parmi ces derniers, le World Wide Web (en abrégé, le Web ou, en français, la Toile) s’est imposé rapidement. Grâce à un langage de balisage à la norme S.G.M.L. appelé H.T.M.L. (Hyper Text Markup Language), il est possible de publier et de faire circuler des documents multimédias correctement mis en page et reliés par des liens hypertextuels à des documents hébergés sur d’autres sites du réseau.

Une révolution éditoriale

Des revues, des journaux, des magazines diffusent sur Internet des fac-similés numériques de leurs exemplaires papier, grâce à l’utilisation de formats comme P.D.F. ou Acrobat. Mais ce mode de diffusion, s’il présente l’avantage de préserver les caractéristiques de la maquette originale, néglige les ressources les plus intéressantes du réseau qui ont pour nom immédiateté, interactivité et délocalisation.

Une revue éditée sur Internet n’a pas la rigidité d’une revue sur papier. Elle est modifiable à tout moment. Sa mise à jour peut se faire de façon continue et immédiate, obligeant ainsi à repenser la question de sa périodicité. Les rapports entre éditeur, auteur et lecteur sont également transformés. Grâce au courrier électronique, aux forums de discussion et à la souplesse de sa maquette électronique, la revue s’inscrit dans une dynamique éditoriale mouvante. Sa publication peut être le résultat d’une transaction permanente entre ses différents partenaires. La structure hypertextuelle du Web, enfin, dissout les limites matérielles de l’édition. Celle-ci peut désormais faire appel à des textes localisés sur des sites distants, qu’elle se contente de réunir de façon singulière pour les donner à lire à son lecteur. Les progrès rapides enregistrés dans le domaine des moteurs de recherche permettent d’offrir des contenus éditoriaux à la carte, en collectant sur le réseau les informations qui correspondent au profil d’un lecteur particulier.

Un avenir incertain

L’édition électronique, surtout sur Internet, fait encore peur à beaucoup. Pour s’imposer définitivement elle devra apporter des réponses à de nombreuses questions d’ordre économique, juridique, intellectuel et technique. La libre circulation des documents et leur facilité de reproduction pose le problème des droits d’auteur et de la rentabilité de l’édition. La possibilité offerte à chacun de publier des documents accessibles à tous remet en cause la fonction d’autorité intellectuelle des revues ou des maisons d’édition. L’instabilité des différents sites du réseau et la malléabilité des textes numérisés rendent encore peu fiables les publications électroniques. La situation qui prévaut aujourd’hui est celle d’une grande effervescence, encore mal maîtrisée et parfois inquiétante, mais elle est le signe que, dans l’édition, une révolution a déjà commencé.

Édition électronique synonyme de microédition.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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